ANATOLIENNE (PRÉHISTOIRE)

ANATOLIENNE (PRÉHISTOIRE)
ANATOLIENNE (PRÉHISTOIRE)

La région anatolienne, qu’occupe l’actuelle Turquie d’Asie, constitue une sorte de promontoire avancé de l’Asie occidentale que les historiens ont coutume de considérer comme un passage naturel entre ce continent et l’Europe. En effet, bien qu’il s’agisse d’un pays essentiellement montagneux, sa plus grande partie est constituée par un haut plateau de 1 000 à 1 200 mètres d’altitude, parsemé de lacs et de volcans mais de parcours aisé, tandis que les chaînes plus élevées qui le bordent au nord (chaîne Pontique) et au sud (Taurus) ne dressent aucun obstacle à une circulation d’est en ouest.

Pourtant, il s’en faut de beaucoup qu’aux temps préhistoriques ce rôle de pont entre deux continents ait été aussi intense qu’au temps des armées d’Alexandre, du moins dans l’état actuel des recherches. En revanche, l’Anatolie a présenté pour les civilisations antérieures au métal l’avantage naturel de ses matériaux de base pour leurs industries: non seulement, comme ailleurs, le silex, mais l’obsidienne de ses régions volcaniques utilisée dès le Paléolithique et diffusée dans tout le Proche-Orient après 10 000 avant notre ère. La présence, en outre, de gisements de cuivre natif dans le Taurus oriental a permis une utilisation du métal plus précoce qu’ailleurs.

Des origines à la fin du Pléistocène

Les recherches préhistoriques en Anatolie sont relativement récentes. Ce n’est qu’à partir de 1950 que les pionniers turcs, Kökten et Bostanc face="EU Caron" チ, commencèrent à publier les premières analyses détaillées d’outillages paléolithiques. La décennie suivante fut marquée par les fouilles anglaises et canadiennes sur plusieurs grands sites néolithiques d’Anatolie centrale, notamment Çatal Hüyük, tandis que commençait, en 1964, la fouille américano-turque du village néolithique de Çayönü dans le Taurus oriental (Anti-Taurus). Enfin, les quinze dernières années ont connu une intensification des recherches en Turquie du Sud-Est à l’occasion des travaux de barrage sur le Tigre et l’Euphrate supérieurs et des campagnes internationales qui en ont résulté.

La présence en Israël et en Syrie de Paléolithique inférieur ancien, vieux d’un million d’années, a fait considérer l’«isthme du Levant» comme une voie de transit pour l’espèce humaine entre son berceau africain et l’Eurasie. Il faut dire cependant que cette piste se perd, pour l’instant, en Anatolie. La plus ancienne occupation identifiée à ce jour n’y est pas antérieure à 500 000 ans avant notre ère: la découverte, en 1987-1988 par une équipe française, d’Acheuléen moyen à Nizip en Turquie du Sud-Est montre que l’homme avait alors atteint les piémonts du Taurus oriental, mais rien de ce genre n’est encore connu plus au nord.

Par contre, à l’Acheuléen récent – entre 200 000 et 80 000 avant notre ère –, les trouvailles sont moins rares et mieux réparties. Les bifaces caractéristiques de cette phase ont été recueillis dans la région d’Ankara (notamment à Subuk), dans l’Anatolie orientale (région de Keban) et surtout au sud-est de l’Anatolie et dans les terrasses de l’Euphrate et de ses cours d’eau tributaires: ce sont les sites de Dülük, O face="EU Caron" ギuzeli et Nizip (près de Gaziantep), celui de Bozova (près d’Urfa), enfin celui de Keysun (région d’Adyaman). Si on y ajoute quelques trouvailles éparses au nord-est de la Turquie, le long du Caucase, on peut conclure à une occupation assez homogène de l’Anatolie au Paléolithique inférieur récent.

Durant le Paléolithique moyen (de 80 000 à 40 000) et le Paléolithique supérieur (de 40 000 à 17 000), les gisements se raréfient de nouveau. C’est peut-être en partie pour des causes climatiques. Au cours de ces phases a lieu en effet la dernière glaciation qui devait rendre les conditions de vie sur le plateau anatolien particulièrement rudes. Une des seules exceptions concerne l’étroite plaine méditerranéenne de Lycie, au climat plus chaud, où les grottes de Karaïn, explorées dès 1955 et fouillées à nouveau depuis 1980, ont livré les indices de deux occupations successives, la première datant du Paléolithique moyen, la seconde du Paléolithique supérieur. Leurs industries sont elles-mêmes originales: on hésite à leur conserver les appellations culturelles empruntées à la préhistoire européenne («moustérien», «aurignacien») proposées par leur inventeur.

Enfin, c’est encore en Turquie du Sud-Est qu’une mission allemande a signalé en 1988 du Paléolithique moyen sur un site (face="EU Acute" すchremuz) de l’Euphrate.

Au Paléolithique supérieur succèdent entre 17 000 et 8 000 avant J.-C. des civilisations de transition qualifiées, au Levant, par le terme générique d’«épipaléolithique». Ces cultures, qui marquent aussi la fin du Pléistocène, se caractérisent par la persistance des stratégies alimentaires de chasse-pêche-cueillette et par une conception nouvelle de l’outillage: le microlithisme. Elles ne sont pratiquement pas représentées en Anatolie, à l’exception, là encore, de la côte lycienne avec les grottes de Beldibi et Belbas face="EU Caron" チ, dont les industries microlithiques ont des affinités, respectivement, avec les cultures dites kébarienne et natoufienne du Levant et du Taurus oriental, où le site de Hallan Çemi Tepesi comporte déjà, vers 8400 avant J.-C., des maisons rondes comme le Natoufien levantin, quoique dans un contexte culturel différent.

La néolithisation de l’Anatolie du Sud-Est (7400-6500 av. J.-C.)

La première phase de la néolithisation proche-orientale, celle qui fut marquée dans les pays du Levant par l’invention de l’agriculture au début du VIIIe millénaire, ne s’est pas étendue à l’Anatolie. Celle-ci reste alors à peu près vide: on pense qu’un réchauffement postglaciaire plus tardif qu’ailleurs l’a gardée plus longtemps inhospitalière. Lorsque le Néolithique y apparaît, il n’est pas indigène mais vient d’ailleurs. Ce sont des populations arrivées de Syrie du Nord vers 7400 avant J.-C. qui ont remonté le cours supérieur du Tigre et de l’Euphrate et sont venues coloniser le Taurus oriental. Les nouveaux villages d’agriculteurs que l’on y trouve alors, Çayönü, Cafer Höyük, Nevali çori, appartiennent à la culture dite P.P.N.B. du Taurus, qui n’est qu’une extension vers le nord de la civilisation P.P.N.B. (Prepottery Neolithic B ) du Levant. Ce sont des agglomérations de maisons rectangulaires dont les murs de brique crue sont montés sur des soubassements de pierre; les premières maisons sont assises sur de longs murs multiples et juxtaposées en forme de gril, puis elles sont à plan tripartite et enfin elles comportent de nombreuses petites cellules ou une seule grande pièce. L’industrie lithique reste pour l’essentiel la transposition dans le matériau propre à l’Anatolie, l’obsidienne, des types d’armes et d’outils inventés plus au sud pour le silex. Pas de céramique encore, mais, par contre, une très belle vaisselle de marbre et des bracelets polis en même matière singularisent cette région, de même que des objets en cuivre martelé, à Çayönü, témoignent de la plus ancienne utilisation connue de ce matériau, sans fusion préalable cependant, ce qui ne permet pas encore de parler de métallurgie.

Quant au plateau anatolien proprement dit, son occupation reste encore peu connue. Seul le village d’A ず face="EU Caron" チkl face="EU Caron" チ, en Cappadoce, paraît contemporain des sites du Taurus oriental, mais il n’y pas encore d’agriculture. Son architecture rectangulaire, très dense, préfigure celle, plus tardive, de Çatal Hüyük.

La néolithisation de l’Anatolie centrale (6500-6000)

Le sud du plateau central n’est vraiment occupé qu’à partir de 6500, livrant alors un riche ensemble de villages: Suberde, Can Hasan III et Çatal Hüyük sont fondés alors. Ces deux derniers sont les mieux connus: le plan du village y est original et va caractériser l’architecture anatolienne presque jusqu’à l’époque actuelle. Ce plan est dit agglutinant, les maisons y sont contiguës et sans porte, l’accès se faisant par les toits. L’agriculture est présente mais aussi l’élevage du mouton à Suberde. Bien que cet ensemble dérive à l’évidence du «P.P.N.B. du Taurus», une civilisation originale est là en train de naître plus à l’ouest, qui s’épanouira à la période suivante. Une céramique encore grossière et peu abondante fait une apparition précoce à Çatal Hüyük vers 6300 avant J.-C.

Par contre, la chaîne du Taurus oriental, qui a joué le rôle que l’on sait dans l’acculturation néolithique de l’Anatolie, paraît maintenant à peu près abandonnée. Seuls ses piémonts méridionaux, à climat plus sec, présentent une série d’installations (Gritille, Hayaz) qui ne sont que la marge septentrionale d’une culture syro-turque, le P.P.N.B. récent du Moyen-Euphrate. C’est le silex, comme en Syrie, qui est ici le matériau de base, et l’élevage de la chèvre y joue un rôle économique important. Par Anatolie nous entendrons désormais le plateau anatolien et lui seul.

La civilisation de Çatal Hüyük

Le VIe millénaire est une époque de plein épanouissement pour les villages d’agriculteurs-éleveurs néolithiques du Proche-Orient, désormais tous pourvus de céramique. À présent, l’Anatolie a non seulement rattrapé son retard, mais la civilisation de Çatal Hüyük qui s’y déploie dans la haute plaine de Konya, entre 6000 et 5500 avant J.-C., est sans doute la plus brillante de l’époque. Qualifiée de «supernova» par le fouilleur du site, James Mellaart, elle a aussi passé pour la «première ville». Même si cette appellation est exagérée (aucun signe de la hiérarchisation sociale qui caractérise le stade urbain n’y est encore perceptible), il reste que le village occupe 13 hectares, où l’architecture, particulièrement dense, est du type agglutinant. Ses habitants cultivent non seulement les céréales (blé et orge) mais les pois, les lentilles, le lin, suivant des techniques impliquant désormais l’irrigation. On élève des porcs, des moutons, des chèvres et bientôt des bœufs. L’artisanat très élaboré ne se limite pas à la production de céramique et d’outils en obsidienne: de beaux miroirs sont aussi polis dans ce matériau, le cuivre et le plomb sont travaillés pour la parure, le bois pour la confection de récipients, le cuir et les fibres végétales pour l’habillement. Enfin, une documentation sans égale a été fournie par Çatal Hüyük sur la religion néolithique: les maisons comportant en général deux pièces, l’une d’elles est chaque fois un véritable sanctuaire domestique, avec des sépultures dans des banquettes d’argile, des hauts-reliefs et des fresques peintes sur les murs, des statuettes de pierre et des figurines de terre cuite dans le mobilier. Les thèmes traités par cet art font apparaître deux instances symboliques dominantes à statut de divinités. L’une, qui a déjà forme humaine, est la Déesse mère représentée parturiente dans les hauts-reliefs muraux ou dans des statuettes, dont la plus célèbre la montre assise sur un trône de panthères. Un environnement de bêtes sauvages, en général dangereuses ou carnivores (belettes, vautours, renards, sangliers), paraît souligner aussi son aspect funéraire. La seconde figure, encore animale, est le taureau, représenté lui aussi de façon monumentale et quasi obsessive, sous forme de bucranes d’argile saillant des murs, de piliers hérissés de cornes, ou en figure centrale des fresques peintes. On a montré, depuis, que ces cultes ne sont pas propres à l’Anatolie mais caractérisent la religion néolithique du Proche-Orient dans son ensemble, mais nulle autre région n’en a donné d’expression artistique aussi luxuriante. Seule l’Anatolie elle-même livrera en effet un peu plus tard, à Hacilar et à Höyücek, un ensemble de statuettes féminines comparables à celles de Çatal.

La civilisation de Çatal Hüyük est donc un phénomène propre au sud de l’Anatolie centrale du VIe millénaire. On connaît depuis peu la lointaine filiation qui la relie vers l’est au P.P.N.B. du Levant, mais elle constitue un ensemble singulier et relativement circonscrit. La côte méridionale de Cilicie en particulier, avec le village préhistorique de Mersin, apparaît alors comme un monde différent, dans l’orbite culturelle des cultures syriennes contemporaines utilisant le silex et une céramique noire lustrée caractéristique.

Quant à l’Anatolie occidentale, elle a paru longtemps dépourvue de toute occupation néolithique. Même la civilisation anatolienne du Ve millénaire, improprement appelée «chalcolithique» puisque le cuivre est déjà en usage depuis longtemps, semblait buter sur une barrière invisible laissant hors d’atteinte l’Ionie et les bords de l’Égée. Ce vide de la carte posait un problème, dans la mesure où, dès le VIe millénaire, la néolithisation a gagné les Balkans et l’Europe à partir de ses bases initiales du Proche-Orient et que l’Anatolie paraît, pour cette diffusion, un passage obligé. La découverte en 1987 d’Ilipinar, site du VIe et Ve millénaire de la région d’Iznik, pourrait combler cette lacune, surtout attribuable, semble-t-il, au milieu très boisé de l’Anatolie occidentale qui en rend la prospection difficile.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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